Le Traité transatlantique de libre-échange : vers la fin des négociations ?

Depuis plus de 2 ans, je vous ai régulièrement livré mon positionnement concernant le traité transatlantique de libre-échange, appelé plus communément le « Traité TAFTA ».

Il s’agit d’un accord commercial transatlantique qui porterait sur la création d’une zone de libre-échange entre l’Europe et les États-Unis. Il couvrirait un espace représentant 45,5% du PIB mondial, puisqu’il a pour objectif d’élargir très sérieusement le champ des secteurs soumis au marché, y compris ceux couverts en France et en Europe par des services publics.

Les échanges et les négociations sont complexes, et j’ai depuis 2012 largement fait connaître mon scepticisme sur ce traité qui vise à abolir les droits de douanes entre l’Europe et les États-Unis et à harmoniser, sur des critères qui restent encore très flous, des normes sociales, sanitaires et environnementales tant dans l’industrie que dans l’agriculture ainsi que des règlements affectant le commerce.

L’opacité des négociations, l’absence de reconnaissance de règlementations européennes au détriment de règles américaines plus libérales, l’absence de remise en cause par les américains de réglementations protectrices de leur économie notamment, sont autant de problèmes qui font craindre une harmonisation vers le bas.

Dans une interview au journal Sud-Ouest du 28 septembre dernier, Matthias FEKL, secrétaire d’Etat au Commerce extérieur, a évoqué pour la première fois la possibilité pour la France de mettre fin aux négociations.

Je me réjouis de cette prise de position. Mais, au-delà, la France doit également peser de tout son poids auprès de la Commission européenne afin que nos futurs échanges commerciaux avec les États-Unis soient régulés, organisés, équitables et respectueux des engagements en matière de normes sociales et environnementales.

Voici les éléments qui, je le pense, doivent être considérés comme non-négociables :

  • La défense des préférences collectives en matière de santé et protection des Il n’est pas question de négocier nos choix de société, pas plus que nos choix alimentaires. La législation européenne ne doit pas être modifiée dans les domaines les plus sensibles, et notamment en matière de décontamination chimique des viandes (« poulets chlorés »), d’OGM, d’utilisation des hormones (ou « promoteurs de croissance ») en élevage ou de clonage à but alimentaire. Le droit de chaque partenaire d’évaluer et de gérer le risque de la manière qui lui apparaît la plus appropriée devra être reconnu dans l’accord. Pour l’Europe, le principe de précaution est au fondement de nos règlementations et devra le rester.
  • Sur la question particulière des indications géographiques, il s’agit d’un enjeu majeur dans les négociations transatlantiques. Elles permettent de mettre fin aux abus. Il n’est pas acceptable que des savoir-faire uniques, fruit de l’Histoire et de la passion humaine puissent être usurpés. L’accord avec le Canada permet de protéger 42 appellations françaises, en plus des vins et spiritueux déjà couverts depuis 2004. C’est un progrès important ! Pour les Etats-Unis, il reste beaucoup de chemin à parcourir.
  • La question de la protection des données personnelles ne doit pas avoir sa place dans la négociation du Traité.
  • Le secteur audiovisuel doit également demeurer exclu des négociations avec les Etats-Unis, tout comme il avait été exclu de celles avec la Canada. Cela correspond à une demande de la France, conformément à sa position traditionnelle en matière de diversité culturelle.
  • Sur la question des services publics, conformément à la position qu’elle a toujours défendue, à l’OMC comme dans les accords commerciaux, l’Union Européenne a pour ligne de négociation de préserver sa capacité de créer et de maintenir des services publics au niveau national et au niveau local. Les services publics ne doivent pas être remis en cause. La haute qualité des services publics européens devra être préservée, conformément à leur reconnaissance par les traités européens.
  • Sur le mécanisme de règlement des différends investisseur/Etat, la France a très tôt indiqué que l’inclusion d’un tel mécanisme dans l’accord avec les Etats-Unis n’était ni utile, ni nécessaire. La Commission européenne a organisé une consultation publique qui a recueilli 150.000 réponses, en très grande majorité critiques. En France, l’Assemblée Nationale et le Sénat ont adopté des résolutions à ce sujet. Une phase de réflexion et de propositions s’est engagée. Il n’est pas acceptable que soient remises en cause des décisions politiques, souveraines, de gouvernements démocratiquement élus, à la demande d’entreprises multinationales. Il n’est pas acceptable que le législateur soit amené à se censurer par peur que l’Etat se voit infliger des sanctions pécuniaires. Nos finances publiques, déjà fragilisées, ne doivent pas servir à couvrir les risques pris par des entités privées étrangères. Il n’est pas acceptable de faire payer au contribuable les choix qu’il a validés en tant que citoyen. La puissance publique doit pouvoir défendre l’intérêt général dans des domaines aussi divers que la santé, la sécurité, l’environnement, l’ordre public ou la fiscalité. Cette capacité est susceptible d’être remise en cause par les dérives que l’on constate dans l’utilisation du mécanisme de règlement des différends par des firmes multinationale (Philip Morris c/Australie ou Vattenfall c/Allemagne).
  • Sur la réduction des droits de douanes, certains segments du marché américain sont juridiquement fermés ou d’un accès compliqué par la réglementation. Les Etats-Unis prônent le libre-échange pour les autres mais le pratiquent peu pour eux-mêmes. Le Gouvernement français est engagé dans une démarche ambitieuse de simplification.
  • Sur les marchés publics, il s’agit de rééquilibrer une situation inacceptable pour l’Europe : les marchés publics européens sont ouverts à 95 % contre 47 % aux Etats-Unis : c’est le double ! Nous devons obtenir des contreparties. Des textes comme le « Buy American Act » et la répartition des compétences entre Etat fédéral et les 50 Etats fédérés sont protecteurs des intérêts américains. L’échelon subfédéral devra être engagé par cet accord.
  • Sur la transparence, un manque dans les négociations a suscité des critiques légitimes. Des sessions de négociations successives ont eu lieu. Elles n’ont produit que peu de résultats et ont suscité des interrogations sur ce qui s’y passait. Elles sont laborieuses car les positions américaines et européennes divergent fréquemment. Mathias FEKL a demandé à la Commission européenne de rendre public le mandat de négociation du Traité, ce qui a été obtenu depuis le 9 octobre 2014. Par ailleurs, pour la première fois, le ministère des affaires étrangères et du développement international a ouvert, à l’instigation du secrétaire d’Etat, une page Internet, sur le site du Quai d’Orsay, spécifiquement dédiée aux sujets de politique commerciale qui permet à tout le monde d’avoir accès à une série de documents sur les négociations. La transparence n’est pas seulement synonyme de mise en ligne de documents, c’est une démarche active. Mathias FEKL a, à ce propos, intégré officiellement les représentants de la société civile (ONG,associations, syndicats, fédérations professionnelles) au comité de suivi stratégique, aux côtés du collège des parlementaires. Il est réuni régulièrement, et le sera prochainement en mars prochain.

Restons vigilants !

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