Projet de loi constitutionnelle de protection de la nation : les raisons de mon vote

Présentée en Conseil des ministres du 23 décembre dernier, un peu plus d’un mois après les attentats terroristes qui ont frappé notre pays, cette réforme constitutionnelle a suscité de très nombreux débats et ils sont légitimes. Le sujet est d’importance. Aussi, tous les points de vue méritent d’être respectés.

Actuellement, notre Constitution prévoit deux régimes particuliers pour le temps de crise. Son article 16 donne des pouvoirs exceptionnels au Président de la République quand « le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu ». L’article 36 régit, quant à lui, l’état de siège. Eu égard aux événements dramatiques du 13 novembre dernier, le recours à l’un de ces deux articles n’était pas pertinent.

L’état d’urgence, créé par la loi du 3 avril 1955, est le troisième « état de crise » que connaît notre pays. Alors qu’il est le régime de circonstances exceptionnelles le plus fréquemment utilisé sous la Ve République, il est le seul à ne pas être inscrit dans la norme juridique la plus haute. Le projet de loi constitutionnelle revient donc sur cette situation.

Cependant, cette anomalie ne peut être l’unique motivation. La constitutionnalisation de l’état d’urgence est, à mon sens, un rempart contre sa banalisation ou d’éventuels recours excessifs. Voilà l’élément décisif qui a motivé mon vote. En effet, l’introduction de l’état d’urgence dans notre loi fondamentale renforce l’encadrement juridique de ce régime. Une fois inclus dans la Constitution, il faudra une réforme constitutionnelle et non un simple projet de loi ordinaire pour modifier les conditions permettant de recourir à l’état d’urgence.

J’ai défendu, durant les débats parlementaires, un amendement qui visait à assurer que cette constitutionnalisation corresponde à un meilleur équilibre entre l’impératif de sécurité publique et la garantie des libertés individuelles (vidéo à 1h29min):

 Sans titre

http://www.assemblee-nationale.tv/video.3625608_56b8abb230736.1ere-seance–protection-de-la-nation-suite-8-fevrier-2016

http://www.assemblee-nationale.fr/14/amendements/3381/AN/181.asp

 

Pour ce faire, il proposait de préciser :

  • que le décret portant déclaration de l’état d’urgence doit être motivé et que les mesures prises au titre de l’état d’urgence correspondent à ces motifs et objectifs ;
  • que les mesures prises au titre de l’état d’urgence ne soient pas nécessairement des mesures de police administrative. Il aurait appartenu à la loi organique de vérifier les conditions d’intervention de l’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle ;
  • qu’une loi organique et non une loi ordinaire organise le régime de l’état d’urgence ;
  • que le Parlement serait informé et contrôle la mise en œuvre de l’état d’urgence ;
  • que le Parlement précise les conditions d’exercice d’une nouvelle période d’engagement de l’état d’urgence, après prorogation ;
  • que le Parlement puisse mettre un terme à l’état d’urgence à tout moment.

Si cet amendement n’a pas été adopté, le débat parlementaire a permis d’obtenir des avancées significatives. L’Etat d’urgence est désormais mis sous contrôle parlementaire et toutes modifications exigent une réforme constitutionnelle. J’y vois là une protection des libertés.

Concernant l’article 2, avec nombre de mes collègues parlementaires, avant même que le débat intervienne au Parlement, j’ai souhaité faire connaître mon opposition à l’extension de la déchéance de nationalité aux binationaux nés français et condamnés pour terrorisme telle que prévue à l’article 2 du texte dans sa version initiale. En réponse à ces nombreuses réactions, le Gouvernement a modifié le contenu de l’article.

La déchéance de nationalité figure dans notre droit depuis la Révolution française. Ainsi, en 1848, elle était prévue contre les esclavagistes. On était français ou esclavagiste ! Elle a été dévoyée à une période plus sombre de notre histoire.

Aujourd’hui, je considère que le texte du Gouvernement fait droit aux préoccupations que nous avons été nombreux à exprimer puisqu’il ne fait plus référence à la façon dont les Français sont devenus ou sont français. La nouvelle rédaction de l’article 2 exclut toute référence aux binationaux et concerne donc tous les français, sans caractère discriminatoire.

De plus, cette nouvelle rédaction confie au juge judiciaire le soin de prononcer la sanction, et non à un juge administratif ou encore un à préfet. Le juge judiciaire pourra priver le condamné d’une partie de ses droits liés à la nationalité, suite à un procès contradictoire et uniquement pour les actes terroristes les plus graves, que ce soit des crimes (comme les attentats du 13 novembre) ou des délits terroristes (comme le financement des attentats ou la complicité dans leur réalisation).

En parallèle, le gouvernement a pris l’engagement de ratifier la convention de 1961 visant à la réduction de l’apatridie. Je veillerai au respect de cet engagement.

Je serai également extrêmement vigilante à ce qu’aucune des avancées obtenues ne soit remise en cause lors de l’examen des deux lois d’application qui devraient découler de cette réforme constitutionnelle.

Je sais le caractère symbolique et donc l’efficacité relative de cette mesure mais l’adoption de l’article 2 dans sa nouvelle version me semble justifiée pour celles et ceux qui se battent contre la République et ses valeurs.

 

Voici donc les explications que je souhaitais partager avec vous.