La Pennsylvanie et le gaz de schiste

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C’est en Pennsylvanie que s’est déroulée la seconde étape de mon voyage d’études sur le gaz de schiste.

Territoire où l’opposition à l’industrie des gaz de schiste est plus forte au Québec (étape 1).

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Les propos recueillis en 2011, de Jean-Thomas Bernard, professeur invité au Département de sciences économiques de l’Université d’Ottawa et de Patrick González, professeur au Département d’économie de l’Université Laval, sont à ce propos, éclairants :

«  Si partout les environnementalistes s’inquiètent des risques pour l’environnement de cette industrie, les Québécois qui habitent près des zones potentielles d’exploitation clament fort leur mécontentement.

En plus des caractéristiques géologiques particulières des schistes d’Utica au Québec et de Marcellus en Pennsylvanie, ces deux États affichent des conditions socioéconomiques et institutionnelles différentes qui déterminent l’acceptabilité sociale de l’industrie. Voici cinq de ces différences.

 

  • 1°Le droit de propriété du sous-sol

Dans les deux États, les résidents voisins d’une exploitation n’obtiennent aucune compensation pour les désagréments qu’ils subissent. Mais les premiers intéressés, les propriétaires terriens, ont moins à gagner de l’exploitation au Québec qu’en Pennsylvanie.

Au Québec, le propriétaire d’un terrain n’en possède que la surface : les richesses du sous-sol demeurent la propriété du gouvernement.

En Pennsylvanie, le droit de propriété comprend tant la surface que le sous-sol : un prospecteur gazier doit négocier avec le propriétaire non seulement une compensation pour les désagréments de l’activité en surface, mais aussi une redevance sur la valeur des ressources extraites du sous-sol.

Le propriétaire québécois ne négocie que la première compensation : les redevances sur la ressource sont l’affaire du gouvernement.

En Pennsylvanie, le montant des redevances dépend du résultat de la négociation : les propriétaires des sites les moins coûteux à exploiter obtiennent une grande redevance par mètre cube de gaz. Au Québec, le gouvernement demande les mêmes redevances quels que soient les coûts.

Les propriétaires québécois sont contre l’exploitation parce que, contrairement aux propriétaires pennsylvaniens, ils n’en retirent pour eux-mêmes que peu de bénéfices. Et ils le font publiquement savoir parce que seul le gouvernement est en mesure d’interdire à une compagnie de fracturer le schiste sous leur maison, alors que les propriétaires pennsylvaniens ont toujours le choix de ne pas l’y autoriser ou d’être indemnisés selon leur propre évaluation. Mais la nature publique de la propriété du sous-sol n’explique pas à elle seule pourquoi le Québec est moins accueillant envers l’industrie.

  • 2° L’histoire

Le Québec a peu d’expérience dans la production des hydrocarbures et son encadrement réglementaire. La Pennsylvanie, par contre, est le berceau de cette industrie puisque c’est là que le colonel Drake y fora le premier puits en 1859. De cette longue histoire d’exploitation, elle hérite d’une réglementation opérationnelle pour encadrer la nouvelle industrie de la fracturation hydraulique des schistes, mais aussi d’un certain passif puisque les milliers de puits traditionnels forés dans le passé peuvent s’avérer des voies de fuite vers les aquifères aux produits toxiques associés à la fracturation.

Inévitablement, le Québec est en mode rattrapage en matière de prospection gazière: peu s’émeuvent du harnachement de rivières sur la Côte-Nord ou de la réfection de la centrale nucléaire de Gentilly, mais tous s’inquiètent qu’on creuse des trous dans le sol.

  • 3° La géographie

 La trentaine de puits récemment forés au Québec se trouvent dans la plaine du Saint-Laurent entre Montréal et Québec. Lors d’un forage, on peut apercevoir la tour de forage (derrick) à quelques kilomètres de distance et constater le va-et-vient des camions. Cela déplaît aux villégiateurs et aux retraités qui prisent cette région rurale mais proche de la ville, particulièrement le long du Richelieu.

En Pennsylvanie, entre Philadelphie et la capitale Harrisburg, la plaine agricole (où vit la communauté amish) est épargnée. La zone exploitée se trouve dans les collines boisées de l’ouest et du nord : depuis la route, on ne voit rien des activités de l’industrie.

  • 4° L’économie

L’industrialisation de la Pennsylvanie s’est effectuée au XIXe siècle à partir du charbon et de l’acier. Après des décennies de prospérité, les aciéries de Pittsburgh ont connu un long déclin sous la pression de la concurrence internationale pour finalement faire faillite vers 1970, en faisant basculer la ville dans la rust belt: une région économique en déclin avec une structure industrielle reflétant une époque révolue.

Pittsburgh a ensuite réorienté son économie vers les services de santé et d’éducation, mais cette conversion n’a pas suffi à revitaliser les petites communautés avoisinantes situées dans les Appalaches. Les choses ont changé depuis cinq ans avec le développement accéléré de l’industrie du gaz de schiste, qui offre des emplois bien rémunérés et qui demande des services de toutes sortes à l’industrie locale. L’impact économique est manifeste.

Au Québec, l’économie de la plaine du Saint-Laurent (entre Montréal et Québec) se porte déjà bien depuis la signature de l’entente de libre-échange avec les États-Unis en 1989. De plus, la villégiature y est en pleine expansion. L’arrivée de l’industrie du gaz de schiste ne fait qu’ajouter à la demande pour les ressources locales et les salaires élevés qu’elle offre n’ont pas d’attrait pour les villégiateurs et les retraités.

  • 5° Propriétaire du sous-sol

Plusieurs schistes peuvent être exploités en Amérique du Nord. Ceux du Québec et de la Pennsylvanie ont l’avantage économique important d’être près des consommateurs finaux de la côte est américaine. Par contre, cette proximité des zones plus densément peuplées soulève des problèmes d’acceptation sociale. Il faut que les résidents près des zones d’exploitation y trouvent leur compte. »

Ainsi, en Pennsylvanie, la propriété privée du sous-sol, la géographie, l’histoire et la piètre situation économique ont créé des conditions favorables. Au Québec, il y a bien quelques zones où les conditions s’apparentent à celles de la Pennsylvanie ; cependant, pour la majorité des zones, la propriété publique du sous-sol entraîne que le gouvernement en soit l’arbitre final.

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Ancienne piscine privée, désormais hors d’usage pour cause de pollution d’eau

Mais pourquoi, au-delà de l’aspect financier et malgré toutes les pollutions, les pennsylvaniens ne sont-ils pas majoritairement opposés au gaz de schiste ?

Une rencontre avec Simona L. Perry, Docteur en philosophie et ethnologue a révélé une autre explication : le patriotisme. C’est sous cet angle que l’exploitation a été présentée dans un Etat de grande tradition militaire. Vouloir développer ses propres ressources naturelles au nom d’une prétendue indépendance énergétique. Certains pensant même devenir « l’Arabie Saoudite des USA ». Et un Etat et un pouvoir politique prêt à tout pour faciliter les projets. Car aux USA, la compensation n’existe pas. Pas de taxe de peur que les compagnies qui extraient les ressources naturelles s’en aillent. Si les municipalités peuvent obtenir des frais d’impact uniquement sur leurs infrastructures endommagées, en contrepartie elles s’engagent à  ne pas émettre de restrictions sur leur document d’urbanisme sur les activités minières.

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L’argument d’indépendance énergétique étant le plus souvent avancé, également par les pro gaz de schiste en France, il convient d’y revenir.

Le schiste étant la dernière ressource de gaz naturel sur terre, son exploitation permet donc de prolonger la période de combustible fossile. Elle a pour conséquence la baisse du prix du gaz et rend plus difficile le développement des énergies renouvelables.

Anthony INGRAFFEA éminent professeur et opposant au gaz de schiste aux USA a souhaité nous rappeler la vérité des chiffres. Si les ressources sont importantes, le gain est faible car on arrive à en tirer au maximum 10%. Aux USA la quantité de gaz de schiste est en déclin. Les 50 000 meilleurs puits ont déjà été forés. Anthony INGRAFFEA estime même que dans 10 ans les gaz de schiste seront finis, 5 ans au Texas. Tout ça pour ça dira t-on alors ! Les désastres seront toujours là, les vies toujours condamnées mais les compagnies seront parties. Mais même de loin, certaines d’entre elles continueront à faire ce qu’elles font déjà aujourd’hui : demander des dédommagements aux propriétaires des terrains car le gain escompté n’est pas là. Oui, tout aussi surprenant que cela puisse paraître des compagnies se retournent vers les propriétaires et leur demande de rendre  une partie des sommes qui leur a été versée !….img_0510

 L’exemple outre atlantique démontre que plus que l’indépendance énergétique, c’est surtout l’exportation des ressources qui est recherchée. Mais ces ressources naturelles étant finies les pays vont donc être incités à se battre pour y prétendre provoquant une instabilité internationale. Et  pendant ce temps le soleil et le vent continueront à s’offrir gratuitement à nous !!! Ce qui m’emmène à dire que plutôt que l’indépendance énergétique c’est la sécurité énergétique que nous devons revendiquer.

Ce voyage outre atlantique me confirme que par la loi sur la transition énergétique pour la croissance verte et notamment les objectifs que nous nous sommes fixés nous sommes sur le bon chemin. Elle fait des envieux. C’est une forme de solidarité que demandent les opposants au gaz de schiste que j’ai rencontré. « Allez le plus loin possible et démontrez à notre pays qu’il est possible de faire autrement. Et surtout faites savoir la réalité des faits. » « Vous n’avez pas fait ( les gaz de schiste) grâce à nous. Nous nous avons besoin de vous » me lançait un habitant.

Le mercredi 12 octobre la Commission d’information sur l’application de la loi de transition énergétique rendra son rapport. Il faudra en tirer les enseignements pour rester fidèle aux ambitions de la loi.

Puis les semaines qui suivront seront rythmées par la campagne présidentielle puis législative. Soyons vigilants en distinguant la démagogie de l’honnêteté. Accordons aux questions énergétiques et environnementales la place qu’elles méritent.

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