5 300 heures en séance publique, 329 projets de loi, 102 propositions de loi, 107 000 amendements. Avons nous tout réussi ? Que laisserons nous derrière nous ?

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Je vous encourage à prendre le temps nécessaire pour lire le Discours d’Olivier FAURE, Président du groupe Socialiste,  Ecologiste et Républicain à l’occasion de la fin de session de la XIV Législature :
Monsieur le Premier Ministre,
Monsieur le Président de l’Assemblée Nationale,
Monsieur le Premier secrétaire,
Mesdames et messieurs les ministres,
Monsieur le président du groupe GDR,
Messieurs mes prédécesseurs,
Chers collègues et chers amis,
Pourquoi se retrouver ce soir? Un soir de saint Valentin? Si ce n’est pour le plaisir.
Quel plaisir ? Celui de se retrouver évidemment. Car comme aurait pu le dire notre Premier Ministre, il faut apprécier les joies simples dans les moments compliqués. Et ce soir, pour ce pot de fin de session qui est aussi le dernier de notre législature, nous avons des invités de marque.
J’aurais presque pu dire des invités qui par leur présence sont une marque. Celle de notre histoire. Une histoire collective.
J’entends bien que l’on voudrait résumer aujourd’hui la politique à un choc d’ambitions personnelles. J’ai même cru comprendre que cette ambition pouvait chez certains prendre une dimension chamanique ou plutôt christique, en tous cas mystique…
Pour notre part, nous qui entretenons un rapport plus laïque à l’engagement, notre action s’inscrit dans une longue chaîne de femmes et d’hommes qui ont porté les combats du monde ouvrier, les combats de l’égalité, les combats de la liberté.
Dans un monde où le spectacle prime sur le fond, on attend désormais de chaque campagne son lot de surprises. De ce point de vue, les professionnels du commentaire ne sont pas déçus, ils savourent un grand cru. Mais je veux vous dire ma conviction : la recherche de la surprise est une forme d’immaturité et au fond une négation du choix démocratique. Ce qui devrait être recherché chez un candidat ce n’est pas sa capacité à nous surprendre mais à rendre ses choix prévisibles. Dans le premier cas on entretient la comédie du pouvoir, dans le second on crée ce lien de confiance indispensable pour qui veut transformer durablement le pays. Et c’est précisément cette histoire qui nous lie aux Français. Parce qu’ils la connaissent. Parce qu’ils savent d’où nous venons, ils peuvent imaginer où nous allons.
Bien sûr, j’entends que dans de grandes périodes, des femmes ou des hommes de droite ont aussi maintenu la flamme d’une République vacillante. Et nous étions là avec eux dans la résistance. Mais pour toutes les grandes conquêtes sociales ou sociétales, c’est toujours la gauche qui a fait sauter les préventions des bien-pensants, c’est toujours la gauche qui créé les rapports de force contre les possédants et même lorsque ces avancées ont été proposées par des gouvernements de droite – je pense à Simone Veil – il a encore fallu le renfort de la gauche.
Alors sommes-nous restés fidèles à cette histoire ? La question n’est pas taboue. Elle nous interroge en permanence. Que laisserons-nous derrière nous?
Il y a ceux qui sont arrivés en 1978, et qui ont tout connu. Je les cite parce qu’ils ne sont plus que deux, Henri Emmanuelli et Gérard Bapt qui ont côtoyé Gaston Deferre, président de groupe et participé à la victoire historique de François Mitterrand.
Sept députés ont commencé avec Pierre Joxe, en 1981. Avec lui ils ont aboli la peine de mort, donné une cinquième semaine de congés payés, permis la retraite à 60 ans, baissé d’une heure la durée légale du travail, donné un droit d’antenne aux radios libres, mis fin aux tribunaux d’exception, décriminalisé l’homosexualité… Ils ont ainsi mis la barre haute après 23 années au cours desquelles la gauche avait été tenue à l’écart des responsabilités.
Ils ont aussi découvert la rigueur, cette fois avec André Billardon (dont j’excuse l’absence), Pierre Joxe ayant rejoint en 1984 la place Beauvau. Bruno Le Roux suit ainsi une tradition très établie depuis Gaston Deferre.
Ceux qui sont arrivés en 1986 (ils ne sont plus que deux) ont découvert les charmes de la cohabitation avec Pierre Joxe redevenu président. Cette législature n’avait pas vocation à durer et François Mitterrand y mit bon ordre avec sa victoire sans appel de 1988.
Les 9 députés de notre groupe qui ont découvert le palais Bourbon en 1988 ont aux côtés de Louis Mermaz voté le retour de l’ISF et parallèlement créé le revenu minimum d’insertion, accompagné les accords historiques de Matignon arrachant la paix en Nouvelle Calédonie après les évènements d’Ouvéa.
Avec Jean Auroux à partir de 1990 ils ont assumé le débat sur la CSG.
En 1993, il y eut 57 rescapés à une défaite sévère et peu d’entrants. Deux d’entre nous ont tout de même réussi l’exploit d’arriver à l’Assemblée cette année-là. Et c’est Martin Malvy qui eut la charge d’entretenir le souffle de l’opposition dans cette chambre bleu horizon.
En 1995 après la défaite prometteuse de Lionel Jospin aux présidentielles, c’est avec Laurent Fabius que s’est préparée la victoire de 1997. Lionel à Matignon, c’est Jean-Marc Ayrault qui devient président de groupe. Et parmi les 40 qui sont toujours parmi nous, nombreux sont ceux qui ont failli ne connaître que lui puisqu’il est resté à la tête de notre groupe pendant 3 législatures. Avec Jean-Marc, le groupe a voté les 35 heures, les emplois jeunes, la couverture maladie universelle, le PACS, la loi contre les exclusions…
Nous avons ensuite traversé 10 années d’opposition et c’est avec Bruno Le Roux et François Hollande que nous avons renoué avec les charmes de la salle Colbert toujours dévolue au groupe majoritaire, renforcé par 155 nouveaux députés.
La voilà notre histoire.
Et justement avons-nous à rougir de ce dernier mandat ? J’entends qu’à gauche de la gauche on nous dit que nous n’aurions pas été assez à gauche. C’est sans doute vrai. On n’est jamais assez à gauche. C’est ce que l’on reprochait déjà à Léon Blum. Et si on y réfléchit bien, Blum et le Front populaire n’ont accordé aux salariés que deux semaines de congés payés et la semaine de 40 heures. Il a fallu attendre 45 ans, François Mitterrand et Pierre Mauroy, pour enfin obtenir la cinquième semaine de congés payés. Le même Pierre Mauroy n’a accordé que la semaine de 39 heures et il a encore fallu patienter 16 longues années pour que Lionel Jospin et Martine Aubry veuillent bien fixer la durée légale du travail à 35 heures!
C’est ainsi, la gauche impatiente n’est jamais aussi sévère qu’avec elle-même. Et ce sont les mêmes qui critiquent aujourd’hui notre action qui mythifient les mandatures antérieures.
Mais je reviens à cette législature. On dit : la gauche ce sont toujours de nouveaux droits. Et bien cette législature n’a pas échappé à la règle. Un jour, un autre président de groupe après moi, à cette même tribune de la questure, pour un autre pot de fin de session, prononcera ces mots : avec Bruno Le Roux, les Premiers ministres Jean-Marc Ayrault, Manuel Valls et Bernard Cazeneuve, le président François Hollande, la majorité a créé : le tiers payant pour tous, le compte personnel d’activité, le compte pénibilité, la complémentaire santé pour tous, les droits rechargeables à l’assurance chômage, les actions de groupe, la garantie jeune, rétabli la retraite à 60 ans pour les carrières longues, ouvert le mariage à tous, encadré les loyers, placé au même barème revenus du travail et du capital, créé une nouvelle tranche supérieure de l’impôt sur le revenu, redonné la priorité à l’école de la République…
Ce président de groupe dira que même si la gauche n’aime pas les chiffres, les chiffres aiment la gauche. Que c’est nous qui avons restauré les comptes publics, c’est à dire maintenu notre souveraineté par rapport à nos créanciers.
Ce président de groupe dira que ces soldats de l’an 15, 16, 17 ont maintenu la cohésion républicaine face à une menace terroriste inédite.
Et avant que ce président de groupe ne vous le dise, je vous le dis moi : vous pouvez être fiers ! Fiers d’avoir accompagné un président courageux qui a porté la parole de la France haut et fort, Fiers d’avoir redressé notre économie sans céder à la logique austéritaire de tant de nos voisins européens, Fiers d’avoir répondu au défi climatique au plan national comme au plan mondial avec le beaux succès de la COP 21, Fiers d’avoir traversé cette période où les crises se sont ajoutées aux crises (crise de l’euro, défi djihadiste, crise de la dette, crise environnementale) sans jamais rien céder sur nos principes.
Chacune et chacun dans vos commissions vous avez proposé, amendé, rectifié. Merci à chacune et à chacun.
Nous avons siégé pendant près de 5 300 heures en séance publique. Nous avons adopté 329 projets de loi 102 propositions de loi dont 56 viennent de l’Assemblée. Plus de 107 000 amendements ont été déposés par les parlementaires, dont 13 000 adoptés.
Avons-nous tout réussi ? A l’évidence non. Il n’y a pas de grand soir. Il n’y en aura jamais. Juste une accumulation de réformes qui depuis un siècle ont forgé le modèle Français.
Une nouvelle page s’ouvre maintenant. 78 d’entre nous ne se représenteront pas. Mais je sais qu’ils nous accompagneront. Parce que militer pour ses idées n’est pas un métier. C’est un engagement qui ne vous abandonne jamais. 3 d’entre nous sont partis trop tôt au cours de ce mandat. Olivier Ferrand, Sophie Dessus, Jean-Pierre Fougerat. Je ne voulais pas achever mon propos sans évoquer leur mémoire. Et puis il y a vous, tous ceux qui êtes l’arme au pied, qui allez battre la campagne au cours des prochains mois. Il y a six mois quand Alain Juppé était déjà président, nous ne devions revenir qu’à une poignée. Il y a deux mois lorsque François Fillon était son tour présumé président, la poignée s’était déjà élargie. Désormais les sondeurs se taisent. Ils ont raison. Tout est ouvert. Le pire, l’accession de Marine Le Pen, comme le meilleur, l’élection de Benoît Hamon. Ce matin notre réunion de groupe était… agitée. J’y ai vu paradoxalement un signe positif. Le plus inquiétant c’est toujours le silence, celui qui accompagne les départs sur la pointe des pieds. Non ce matin il y avait un groupe vivant où chacun cherche à trouver sa place dans une histoire qui se prolonge. Ils ont tout dit, tout écrit de notre mort programmée. Ils ont eu tort. Nous sommes vivants, nous sommes debout, nous sommes différents mais prêts à défendre ce qui nous est commun. Belle campagne à chacune et chacun d’entre vous !

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